La monnaie locale, une “forge du commun” ?

Voici quelques extraits de la fin d’un livre à paraître en septembre 2015, Quand un peuple parle. ATD Quart Monde, un combat radical contre la misère. Écrit par Bruno Tardieu, un permanent du mouvement ATD (Agir Tous pour la Dignité) Quart Monde, il dit bien, je trouve, le défi actuel que politiques, professionnels et citoyens puissent penser et mettre en œuvre ensemble des changements de société… sans oublier d’associer ceux qui sont toujours laissés de côté, même dans les révolutions : les personnes confrontées à la précarité, au chômage, à l’exclusion.
Il dit bien, aussi, que l’économie n’est pas un monde régi par ses lois, mais un terrain où les choix sont ou doivent être politiques.
Il dit enfin que les sorties de crise sont souvent venues d’initiatives minoritaires, passées au début inaperçues.
Alors, la monnaie locale, un “commun” à “forger” ensemble ?

btLes pouvoirs publics et les agents chargés de la mise en œuvre des droits fondamentaux doivent trouver une nouvelle posture, non plus de seules protections des citoyens, mais de promotion de leur citoyenneté. […]
Les professionnels, d’abord déstabilisés de ne plus être en position dominante, retrouvent une énergie considérable à ne plus être dans l’opposition et la méfiance avec les populations, mais à se retrouver en situation de partenaires. L’« intervention sociale d’intérêt collectif », qui figure dans bien des textes mais est bien souvent restée lettre morte, revient à l’ordre du jour pour les travailleurs sociaux et leurs institutions. […] Les professionnels aspirent à ce changement de posture, à développer la socialité, à soutenir les quartiers, la qualité des liens, la responsabilité et l’« intelligence sociale » des citoyens, pour reprendre le mot de Michel Chauvière dans “L’Intelligence sociale en danger”. […]
Les institutions de l’État social doivent devenir des organisations apprenantes, rechercher et apprendre des dynamiques où des citoyens divers créent, produisent du langage, du sens, de la beauté et de l’action. Ce sont de précieuses graines de démocratie, qu’il faut dépister, reconnaître, le plus souvent laisser faire, et prendre au sérieux. Ces espaces et dynamiques sont des forges du commun, en particulier du langage commun, véhicule vital de la démocratie. Ils font émerger les questions importantes pour la population qui demandent à être débattues et appellent des choix. Ils existent partout, mais sont ignorés des institutions qui ne savent pas apprendre d’elles.
Combien de fois avons-nous vu des démarches de consultation massive, déclenchées d’en haut, tuer ce que la vie avait fait naître d’espaces de rencontres entre les gens. En 1981, la présidente d’une association d’un quartier populaire de Saint-Nazaire, ignorée par l’ingénierie sociale puissante du développement social des quartiers (DSQ) du nouveau ministère de la Ville chargé d’éteindre le feu dans les banlieues en fit une dépression et son association qui tenait depuis des années ferma en quelques mois. […]
Enfin, ces instances nationales, régionales et mondiales ne doivent pas déléguer les décisions économiques à des agences chargées d’obéir à des supposées lois de l’économie, mais les réintégrer pleinement comme choix politiques. Il est frappant par exemple de voir qu’aujourd’hui le FMI et la Banque mondiale, qui entraînent derrière eux les grandes banques privées, ne sont nullement signataires des conventions internationales sur les droits de l’homme, et pensent que leur raison rationnelle ne peut être contrainte par ces textes pourtant établis démocratiquement.
L’Histoire montre que les sorties de crise sont presque toujours venues de courants minoritaires qui passaient alors tout à fait inaperçus. L’espérance est à rechercher dans les signaux faibles. De fait, il y a de très nombreuses initiatives modestes et prometteuses qui, librement, recherchent d’autres manières de faire société, d’autres modes de vie, d’autres rapports de production et de création, d’autres modes de penser l’être humain et les relations humaines.
ATD Quart Monde en fait partie, et parfois ce mouvement sorti de nulle part a un impact qui surprend, et qui marque des points face à des forces infiniment plus grandes. C’est, je crois, dû à la force que représentent les populations en situation de grande pauvreté et à la sagesse populaire, aujourd’hui largement ignorée, méprisée, qui sait depuis longtemps faire mieux avec moins. Bon nombre des mouvements alternatifs qui font des efforts considérables pour sortir des ornières injustes et de la démesure dans laquelle se trouve notre civilisation perpétuent une même erreur : celle de penser pour les populations qui souffrent le plus des injustices.